Au-delà des Bitcoins
La blockchain au service des ODD


Imaginez perdre votre carte d'identité ou certificat de propriété lors d'une catastrophe naturelle, comme ce fut le cas pour des milliers d'Haïtiens lors du terrible tremblement de terre de 2010 : sans titre foncier, la reconstruction de votre maison ou de votre entreprise devient quasi une mission impossible.
Imaginez de vous inscrire à l'école, d’ouvrir un compte bancaire, de bénéficier de soins de santé, de vous marier, de voter, d'obtenir un passeport ou de voyager sans avoir la possibilité de prouver qui vous êtes. ..
Aujourd'hui, environ 1 milliard de personnes vit dans cette situation (Banque mondiale, 2018). Il s’agit pour la plupart de réfugiés, de migrants ou d’enfants nés dans les régions les plus pauvres et les plus isolées du globe.
La blockchain, une technologie émergente souvent associée à la quatrième révolution industrielle, a un potentiel énorme pour relever ce défi et bien d’autres, en accélérant le progrès en matière de développement sans laisser personne de côté.
Mais avant d’examiner de plus près les avantages potentiels de la blockchain, découvrons une technologie souvent perçue négativement ou comme « trop complexe » au regard des monnaies numériques qu’elle alimente, telles que Bitcoin.

Qu’est-ce qu’une Blockchain?
Un bloc, ou un enregistrement de données, est créé chaque fois que quelqu'un initie une transaction numérique. Cela peut être un achat de monnaie virtuelle, des informations médicales, un historique de livraison ou même un bulletin de vote.
Plutôt que d'être stockées dans un seul endroit comme les archives papiers ou numériques, ces données sont distribuées simultanément sur des milliers d'ordinateurs via un réseau pair à pair (P2P) qui utilise des algorithmes pour vérifier les transactions. Chaque bloc validé est daté et ajouté à la copie de chacun, créant une « chaîne de blocs ».

En raison de la nature décentralisée d'une blockchain (aucune autorité centrale ne "détient" les informations), le risque qu'un original ne soit perdu à la suite d'un piratage ou d'une catastrophe est donc bien moindre. Cela fait non seulement de la blockchain une archive numérique véritablement indépendante mais aussi l'un des systèmes de transport de données les plus sûrs et les plus fiables disponibles à ce jour.

6 solutions blockchain pour avancer les ODD
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Inclusion financière
Selon la Banque mondiale, 1,7 milliard d'adultes dans le monde sont « non bancarisés », ou opèrent entièrement en dehors du système bancaire. Au Tadjikistan, pays à la fois sous-financé et fortement dépendant des envois de fonds (40% des ménages dépendent de transferts d’argent de leur famille à l’étranger), un projet pilote entre AltFinLab, le laboratoire d'innovation financière du PNUD, et la société Bitspark aide les travailleurs migrants à transférer de l’argent via une application mobile fonctionnant avec la blockchain.
Cette technologie permet des transferts de fonds moins coûteux, plus rapides et plus directs, tout en évitant les dépenses supplémentaires d'un trajet en ville ou encore le risque qu’un magasin de transfert d'argent manque de liquidités. Les utilisateurs peuvent ouvrir un compte simplement en saisissant un numéro de téléphone et en vérifiant numériquement leur identité. Les transactions sont réglées instantanément et à une fraction des frais facturés par les intermédiaires traditionnels.
Blockchain change également la façon dont l'argent circule en Serbie. Dans la ville de Nis, notre initiative pilote avec AID: Tech Ltd achemine les envois de fonds de la diaspora vers des achats socialement responsables et permet la création d'identifiants numériques pouvant être utilisés pour d'autres transferts d'argent.
En Afrique, le Sierra Leone va bientôt lancer un bureau de crédit national basé sur la blockchain, qui donnera aux personnes non bancarisées l'accès aux services financiers dont elles ont besoin pour améliorer leur vie, tout en leur laissant un contrôle total de leurs informations de crédit. Nous travaillons en partenariat avec le UN Capital Development Fund (UNCDF) et la plateforme technologique Kiva sur cette initiative pilote.
« Cela pourrait servir de modèle aux pays en développement et aux pays développés à l'avenir »

Accès à l'énergie
Combinée aux énergies renouvelables et à l’Internet des objets (i.e. les compteurs intelligents), la blockchain pourrait raccorder le milliard de personnes encore privées d'électricité dans le monde (World Energy Outlook, 2018). Les communautés rurales seraient ainsi en mesure de produire leur propre énergie et même d'en revendre au réseau national.

En Moldavie, où environ 74% de l'énergie est importée et où le prix du carburant a augmenté de plus de 50% au cours des cinq dernières années, le PNUD s'est associé à The Sun Exchange, un marché en ligne qui finance l'énergie solaire avec une monnaie numérique. Le but est d’installer 15 000 mètres carrés de panneaux solaires dans l'une des plus grandes universités du pays.
Les propriétaires de cellules solaires peuvent les louer à des hôpitaux, des entreprises, des écoles et des résidences privées, puis recevoir des SolarCoins en fonction de la quantité d'énergie solaire produite. Les destinataires sont facturés pour chaque unité d'électricité générée, couvrant le coût de l'équipement, de l'installation et de la maintenance sur une période pouvant aller jusqu'à 20 ans.
« Ce mécanisme de financement alternatif aidera les villes, les entreprises et éventuellement les logements privés à satisfaire leurs besoins énergétiques de base, tout en atteignant simultanément plusieurs objectifs mondiaux »

Production et consommation responsables
Étant donné qu'une majorité de pays s'appuie sur des chaînes d'approvisionnement mondiales, une gestion efficace et transparente de la logistique devrait être la priorité pour tous. En offrant un suivi complet, une sécurité et des coûts de transaction faibles, la blockchain peut changer les habitudes de production et de consommation à l'échelle mondiale.
En Équateur, où les petites entreprises de production de cacao sont sur le point de s'effondrer parce qu’elles ne reçoivent pas un salaire équitable pour leur travail, le PNUD, AltFinLab et la fondation FairChain d’Amsterdam développent le premier chocolat au monde à valeur partagée blockchain.
Les consommateurs seront en mesure de retracer chaque ingrédient d'une barre de chocolat et de s'assurer qu’il est de source équitable et durable. Le prix reflètera l'impact sur l'écosystème et les coûts réels de production et d'exportation, les agriculteurs recevant une part beaucoup plus importante que par toute autre méthode.
« "Nous sommes convaincus que la traçabilité via la technologie aura une influence positive sur le comportement des consommateurs en matière d’achat, contribuant ainsi directement aux moyens de subsistance de milliers de producteurs." »

Protection de l’environnement
Au Liban, où une grave crise environnementale est en cours, avec 9,6 millions d'arbres brûlés chaque année, notre plateforme de crowdfunding Live Lebanon sensibilise la population au problème et collecte des fonds auprès de la diaspora pour appuyer des projets de développement, dont le reboisement.

Grâce à la blockchain, nous pourrions franchir une étape supplémentaire et transformer Live Lebanon en une plateforme d’investissement à impact. La diaspora, les compagnies privés et les particuliers pourraient ainsi réduire leur empreinte carbone tout en investissant dans le développement écologique.
Pour chaque nouvel arbre planté, des CedarCoins seront distribués aux investisseurs et aux communautés locales pour encourager les efforts de reboisement et les gestes écologiques. Les détenteurs de jetons pourront éventuellement choisir l’arbre, son emplacement et ses coordonnées GPS.
« Nous espérons rendre le Liban plus vert en offrant une opportunité d'investissement dans des initiatives environnementales utilisant la technologie blockchain. »

Identité légale pour tous
Il est extrêmement difficile de se protéger, d'accéder à des soins de santé et à une protection juridique en situation de crises ou d'extrême pauvreté.
La blockchain peut aider les personnes sans identité (les réfugiés ou les migrants en transit) de façon efficace et digne en créant une identité numérique universelle et irréfutable qui leur permettra d'accéder aux services essentiels et parfois vitaux à travers le monde.
En 2017, le Programme alimentaire mondial (PAM) a testé une plateforme blockchain pour permettre aux réfugiés syriens en Jordanie de payer leurs repas en utilisant un scanner d'iris plutôt que de l'argent comptant ou des bons électroniques. L’analyse est authentifiée et enregistrée sur une blockchain, ce qui permet aux bénéficiaires de s'identifier sans communiquer de données personnelles superflues.
Un autre aspect crucial de notre identité est la capacité de montrer ce que nous possédons. Mais un registre foncier, par exemple, peut être détruit lors de crises ou de catastrophes ou trafiqué.
En Inde, où 70% des conflits civils régionaux sont liés au territoire, nous nous sommes associés à la ville de Panchkula, dans l’état de Haryana, pour mettre en place un registre foncier permanent, fiable et transparent utilisant la technologie de la blockchain.
« Les archives sont liées en permanence au système afin que personne ne puisse les trafiquer; et ces archives peuvent être consultées par tous, à tout moment. »

Efficacité de l'aide
En tant qu'organisation mondiale de développement, le PNUD transfère d'importantes sommes d'argent à travers le monde entier. Cibler les problèmes, optimiser l'efficacité et lutter contre la corruption sont essentiels pour obtenir le financement nous permettant d'accomplir notre travail et de conserver la confiance de nos donateurs et partenaires.

En garantissant transparence et responsabilité sans recourir à des intermédiaires coûteux, la blockchain offre la possibilité d’augmenter le financement et permet de se tourner vers de nouveaux mécanismes de financement comme la philanthropie.
« Nous sommes convaincus que la technologie blockchain apportera des solutions novatrices aux problèmes sociaux et aidera à combler le déficit de financement des objectifs de développement durable des Nations Unies de manière rapide et innovante. »

Défis
Au PNUD, notre but est d’améliorer les conditions sociales dans le monde grâce à la technologie et l’innovation. Comme le Secrétaire général Guterres l'a déclaré en annonçant le lancement du Task Force on Digital Financing of the Sustainable Development Goals, nous pensons que la technologie numérique est un facteur clé de progrès pour les objectifs de développement durable.
Néanmoins, les défis persistent.
Achim Steiner, administrateur du PNUD, a déclaré dans un article:
« La rapidité et l'omniprésence des mutations technologiques offrent des possibilités sans précédent de développement durable, mais elles s'accompagnent également d'un risque d'inégalité croissante entre et au sein des pays. Il appartient aux décideurs politiques de tirer parti de cette transformation pour de bon et d’atténuer leurs risques. »
La technologie aura peu d’effet en l’absence d’institutions juridiques et de mécanismes de résolution des conflits solides.
Il y a aussi le fossé numérique : ce sont les plus marginalisés, les pauvres, les populations rurales et les personnes déplacées qui ont le moins de chances d'avoir accès à des connexions Internet fiables.
Même si certaines blockchains peuvent traiter des commandes de base via des messages SMS, il faudra trouver des solutions rentables, durables et à long terme aux problèmes de puissance de traitement et d'énergie nécessaires à l'ajout de nouveaux blocs à tous les ordinateurs d'une chaîne.
Si ces obstacles techniques et environnementaux peuvent résolus à mesure que la technologie évolue, il est indispensable de bien en comprendre les risques et les enjeux avant de pouvoir maximiser le potentiel de la blockchain.
